• La flèche

    Comme les puissants keroubim sont devenus à la Renaissance des chérubins, affreux angelots joufflus en couches nuageuses, le dieu Eros dont André Pieyre de Mandiargues disait qu'il "est un Dieu noir" a été dégradé par la Chute qui nous emporte tous en une sorte d'archer dont l'imbécile passe-temps serait d'envoyer des flèches à droite à gauche, quasiment au hasard. Ultime rebond, la publicité qui souille tout l'a ainsi ridiculisé au cinéma pour une marque de glaces il y a une vingtaine d'années.

    La version présentée me semble tronquée; dans mon souvenir, l'une des victimes de Cupidon (la dernière) était un caniche assez hard.

    Eros, dont le nom approche celui d'Eris - la Discorde - est noir car il est souterrain. C'est un principe enfoui au plus profond des ténèbres, et dont la manifestation peut être chaotique et dangereuse. Normal, puisqu'avec Chaos, Nyx, Érèbe et Gaïa, tous engendreurs de monstres, il est l'une des cinq divinités primordiales.

    Du plus loin, il bande son arc pour viser non pas tel ou tel des humains, mais son propre achèvement - il cherche le ciel pour s'y livrer, comme chantait Leonard Cohen.

    Une illustration très claire de ce mythe, et dont je m'étonne toujours que personne à ma connaissance ne l'ait relevé, est l'exploit d'Ulysse de retour chez lui, qui seul réussit à bander l'arc et à traverser l'âme de douze fers de haches alignés.

    C'est à l'évidence une montée de kundalini. Douze désigne aussi bien les vertèbres dorsales (thoraciques, du grec thorax, cuirasse) que les constellations que traverse le Soleil.

    Comme lui, le Soleil (seul oeil), Eros est androgyne, car il est à la fois flèche et cible. Homme et femme. Noir et blanc. Terreur et paix. Rut et fusion. Début et fin.  

    Pour faciliter la compréhension des 33 degrés maçonniques, notons que l'homme est construit sur 33 vertèbres.

    J'ai à plusieurs reprises abordé la question de la purification du désir, que les Grecs classaient en 4 ou 7 états, de Porneia à Agapè. C'est encore de cela qu'il s'agit, et c'est l'Unique Question, la Seule Vraie Quête, dont parlent tous les mythes : faire d'un dragon écailleux et minéral enfoui, noir et puant, en ouvrant sa cuirasse, sa gangue, un être d'amour et de sagesse, une Pierre Philosophale.

    Amour, Sagesse et Lumière sont contenus dans ce mot merveilleux que je vous laisse contempler : 

    PHILO / SOPH / AL

    La succession des sept chakras décrit aussi ce parcours vertical de l'obscurité, de l'enfermement, du sommeil jusqu'à l'éblouissement, que les Grecs ont décrit sous la forme de la déesse Athéna, jaillie du crâne de Zeus. 

    Exactement comme un germe brise la coque de la graine, traverse la nuit de la terre et s'épanouit à la lumière du jour.

    Si le Joyau est dans le Lotus, il est partout : dans ses racines comme dans sa fleur. 

    Eros est un dieu noir. Mandiargues est un auteur parfois insoutenable dans son délire sadique (l'effarant "L'Anglais décrit dans le château fermé", titre allusif à Eyrénée Philalèthe).

    Eros est noir, et une partie d'Eros cherche à le demeurer, à se vautrer dans la noirceur et l'abjection, dragon jouissant de la pesanteur circulaire. La sexualité incontrôlée est riche du pire. Rien ne l'arrête. C'est un grouillement de serpents dans le sang, les larmes, l'urine et les matières fécales, c'est profondément noir, monstrueusement rouge, extrêmement humide, souvent atroce et parfois ridicule.

    L'enfer de Bosch est plein de ces images répugnantes, hurlantes et terrifiantes, quand son paradis n'est que clarté et union.

    L'enfer n'est pas loin, il est contenu dans nos limites. 

    La flèche d'Eros est alors horizontale et son fer ne sait que blesser. Broyer les coeurs ou donner la vie à des créatures mortelles, sont des variantes de la même blessure que dénonçaient la plupart des Gnostiques. Le sexe vulgaire alimente finalement les cimetières et les asiles psychiatriques. 

    C'est lorsque la flèche est tournée vers le Ciel que l'homme sort du cycle des générations, qui ne sont que "bouffe pour la Lune" (Gurdjieff). Que le feu noir du dragon jaillit comme une eau claire et cristalline où se mire et s'embrase le feu céleste.

    C'est le sens (l'un des sens) de l'Ouroboros.

    C'est une porte toujours ouverte, où peu entrent. C'est le chemin des hauteurs, où peu s'engagent.

    La parabole des talents parle de ceux qui font fructifier, selon leur mesure, et de ceux qui enfouissent ce qu'ils ont reçu. C'est encore de cela qu'il s'agit. Enfouir, c'est ne pas travailler la matière de l'Oeuvre, garder le dragon à l'état naturel, en lui rognant quelque peu les ongles pour qu'il soit présentable. Le baisemain à la place du viol. 

    Parmi ceux qui font fructifier leur don, certains produisent beaucoup : ce sont les Saints. D'autres moins : Nous, les affamés de Lumière, qui titubons dans les embruns, l'espérance au coeur. 

    Finalement, une seule chose importe : faire de son mieux.

    Car, à celui qui a, il sera donné.

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    Texte déjà publié le 18 septembre 2011, sorti du placard grâce à Emmanuelle.

     
     

     





  • Commentaires

    1
    Ned
    Samedi 29 Mars 2014 à 10:39

    PHILO / SOPH / AL

       qui n'ont pu le lire qu'a l'envers  de la droite vers la gauche ont lu :

    "LAh POSe O LIt" quelle erreur !

    2
    Thau
    Samedi 29 Mars 2014 à 11:26

    Merci pour cette réflexion riche et dense bonne idée d'avoir "sorti ce texte du placard"...

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    3
    Samedi 29 Mars 2014 à 12:08

    Je n'ai rien contre une pause au lit, seul ou à deux, M. Ned, quand l'autre a le même désir.

    M. Thau, voyez vous, il y a des trucs dans mes placards que j'oublie, et suis content de remettre de temps à autre. Alors, si vous aussi êtes content, tout est bien. 

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