En voici un exemple très connu, mais combien ont su le lire ?
Le nom du brave monsieur Seguin donne le ton. Si les étymologies officielles balancent entre SIG WIN, l'ami de la victoire, le plus douteux, et surtout dans ce contexte, et le scieur, de la sègue méridionale, le plus probable, phonétiquement le mot appartient à la famille de sequare, suivre, qui a donné entres autres le mot second, qu'on prononce seguond.
Et le mouvement du scieur est toujours le même, du matin au soir, qui débite ses morceaux de bois. C'est le mental qui analyse, la raison qui, comme le dit Jean Charon, se base sur le connu pour avancer.
M. Seguin est un brave homme. Pas un homme brave. L'histoire dit de la chèvre qu'elle était brave, elle, oui, qui a cherché sa voie vers les hauteurs, alors que M. Seguin, ce brave homme, n'a jamais quitté son enclos, et y enfermait son avoir.
M. Seguin est un suiveur. Un mouton.
L'appel de la montagne rappelle l'ascension du Mont Analogue par René Daumal. Irrésistible appel qui mène à l'accomplissement de la destinée, malgré la peur. Monter là-haut, c'est renoncer à la routine et à la pensée conforme. Mais qu'ont toutes mes chèvres ? se demande le pauvre bougre pour lequel l'existence en cage constitue tout l'horizon. Que peut-on aller faire dans la montagne, quand le loup y rôde ?
Nous sommes tous partagés entre l'enclos et le large, le conformisme de Seguin et l'envolée de la chevrette blanche.
Puis soudain, rien ne nous retient plus, et nous partons.
La chèvre, c'est l'élan du coeur, l'intuition, l'imagination débridée.
Au creux de l'après-midi, une rencontre : l'ami sauvage, un chamois noir qui déjà préfigure le terrible loup, la nature ambiguë.
Et puis, au soir, quand la nuit tombe, on mesure le chemin parcouru depuis qu'on est sorti du placard miteux : pauvre petite chèvre, maintenant seule face à l'horreur révélée, les oreilles dressées, les yeux luisants.
Daudet sert généreusement les indices, les clefs de l'histoire. Luisant, c'est lumineux. Le loup, en symbolique alchimique, c'est lukos, lux, la lumière.
La redondance montre que le loup, c'est la révélation, l'éblouissante lumière qui se cache dans les ténèbres. Trop de lumière, d'insupportable lumière.
Toute la nuit, la chèvre, la septième petite chèvre, la septième, comme par hasard, oppose ses cornes à l'assaut de la bête, comme un certain Jacob a lutté toute une autre nuit, ou la même, peut-être, contre un ange dont l'histoire ne dit pas s'il était noir et écumant, ou lumineux.
Le loup, à coup de dents, enlève peu à peu la substance de la chèvre, arrache ses peaux, la dévoile, en extrait l'essence.
Ce n'est qu'à la fin de la nuit que le monstre se transforme et que la petite chèvre abandonne la lutte, car elle sait maintenant ce que dissimulait le monstre, qui n'était que la somme de ses peurs.
Daudet insiste bien : elle se battit toute la nuit, et puis le matin, le loup la mangea. Tu m'entends bien Gringoire ?
As tu des oreilles pour entendre le conte ? Entendre que cette histoire pour enfants est l'histoire véritable de ceux qui refusent de vivre enclos ? Qu'après la traversée de la nuit, il y a un matin, et qu'au matin, le combat cesse enfin, et qu'enfin les deux font Un ?
Publié le 12 novembre 2011
Je vous prie de m'excuser; je viens de m'apercevoir que la plupart des liens ont été désactivés depuis la première parution.
Je ferai mieux la prochaine fois : je vérifierai avant, pas après.